Autobiographie, biographie, témoignage·Interview

Les confidences de Cécile Doherty-Bigara

Il y a deux jours, je vous partageais mon avis sur un livre que j’ai adoré découvrir dans le cadre de mon aventure « Lectrice Leduc 2020 » : Nouvelle mère de Cécile Doherty-Bigara. Un témoignage rare sur la maternité qui m’a remué profondément tant il a fait écho en moi. C’est donc avec plaisir que j’accueille sur le blog les confidences de Cécile que je suis depuis quelques années déjà sur Instagram et sur son blog Le Palais Savant.

Faisons connaissance ensemble…Je vous embarque avec moi ?

Flex Thermocollant Arbre de Vie - Flex thermocollant - Creavea

Bonjour Cécile, je suis ravie de t’accueillir sur le blog ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Bonjour Amélie ! Je m’appelle Cécile Doherty-Bigara, j’ai 31 ans, je suis autrice, professeure de yoga et de méditation, basée à Toulouse. J’ai une double culture franco-mexicaine, puisque ma mère est mexicaine et que je suis née au Mexique.

Crédit photo : Amandine Gimenez

Le 13 octobre prochain, sort ton premier livre « Nouvelle mère » qui parle de ton expérience de jeune mère et du bouleversement que cela a eu dans ta vie. Peux-tu nous expliquer ce qui t’a poussé à poser des mots sur ton propre vécu ?

Dans mon parcours personnel, les informations que j’ai reçues de la maternité, de ce qui se passe quand une femme devient mère, étaient assez pauvres.

Ma première grande figure et source de repères, ma mère, est une femme qui a abandonné sa carrière professionnelle pour devenir maman et qui ne nous parlait que de la joie d’être mère. A mesure que nous grandissions, elle nous disait (à ma sœur et à moi-même) d’autres choses. Qu’elle regrettait d’avoir arrêté de travailler par exemple. Il y avait aussi beaucoup d’informations qui passaient par le non-dit. Les enfants sont très forts pour comprendre des choses de leurs parents et de la dynamique familiale dans laquelle ils évoluent, même si rien n’est dit à voix haute. En grandissant, je percevais ses frustrations, je percevais aussi qu’elle n’était pas uniquement une mère et que la femme (dans son cas la femme artiste, puisqu’elle adore écrire) mourrait d’envie de sortir à la lumière aussi.

Mais tout ce que je vous dis là, ses frustrations, ses difficultés, nous n’en avons parlé que lorsque j’ai décidé d’écrire Nouvelle mère. Trente ans après ma naissance.

Pour reprendre ma réponse de départ, les informations que j’avais sur ce qu’il se passait en devenant mère, étaient rares et quasi toutes idéalisées. Dans les dix dernières années de ma vie, les autres facteurs de repères ont été internet, les réseaux sociaux, et je buttais toujours contre la même image de femme poulpe avec dix bras qui maniait avec tant de maitrise, sa vie de mère, de professionnelle, de femme. On adore ces images-là : la femme qui peut tout faire. Attention : on se fait avoir par cette image ! On pense que c’est une image à la gloire des femmes qui montre à quel point elles sont douées pour pouvoir tout assurer. Mais c’est un piège, cela perpétue la culture des femmes qui font passer TOUT le monde avant elles. Cette même frustration que sentait ma mère mais qu’elle n’osait pas exprimer.

En devenant mère, j’ai été fascinée, comme jamais auparavant, par l’intensité de ce qu’était cette expérience. Cette dévotion, cet amour, cette vie de transmission envers ses enfants ne se fait pas en un clin d’œil. C’est un travail du cœur qui se fait dans la sueur et les larmes. Je ne veux pas qu’on croit que les mères sont naturellement des êtres exceptionnels. Que naturellement, elles sont capables d’un amour pareil. Je veux montrer comment cela se passe, combien de temps cela prend, ce qui nous passe par la tête.

Ne serait-ce pas cela, le véritable hommage ?

En lisant ton livre, je n’ai pas pu m’empêcher de penser au sketch de Florence Foresti dans son spectacle « Mother Fucker » où elle parle du tabou qui est entretenu autour de la grossesse, de l’accouchement et de la maternité en général. N’as-tu justement pas eu peur en publiant ce livre de parler de choses « qui ne se disent pas » ?

C’est une excellente question ! Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas eu peur en écrivant le livre, je n’ai eu peur qu’une fois qu’il était fini et que j’étais à quelques semaines de sa sortie !

Le processus d’écriture n’a pas été dans la peur, il a plutôt été thérapeutique. J’ai laissé partir de grandes doses de culpabilité, de honte, de colère. Et dans mon cheminement personnel, écrire ce livre a réparé de nombreuses relations avec ma propre famille. Cela a ouvert le dialogue sur beaucoup de sujets tabous. Et aujourd’hui, mon père de 82 ans, découvre le féminisme en me lisant ! (le kiff !)

En revanche, une fois que j’ai eu fini le livre, j’ai commencé à imaginer la voix d’autres personnes dans ma tête. Et là, j’ai pris peur. Jusqu’ici, les principales voix désagréables à entendre ont finalement été celles de personnes qui n’ont pas d’enfants. La majorité des femmes qui ont lu le livre et qui ont des enfants, me parlent comme à une sœur, me disent : Alleluia, enfin quelqu’un qui parle ! Et ça, ça veut dire beaucoup. Si ceux et celles qui ne sont pas parents, sont heurtés ou choqués, et se disent : « non mais, ça ne peut pas à ce point pousser une personne dans ses limites de devenir parent » c’est que cela confronte le rêve, l’idéalisation. Ce même rêve et idéalisation qui enferme tant de personnes dans leur parcours personnel de devenir parent.

Alors tant mieux !

Dans ton livre, tu parles du « trauma » de la maternité dont t’a parlé ta psychologue. Peux-tu nous en dire plus ?

Traumatisme vient du grec trauma qui veut dire blessure. Un trauma est quelque chose qui nous a blessé. Si vous allez voir un professionnel, un.e psychologue, il n’a pas de grille de lecture devant les yeux où il va cocher des cases, et vous dire à la fin : « ce que vous partagez est valide pour être appelé traumatisme ou ce que vous partagez ne peut pas être considéré comme un traumatisme ». Non, non. A partir du moment où quelque chose vous a blessé, à partir du moment où vous dites « ça, ça a laissé une marque », c’est considéré comme un trauma. Ce qui est traumatique pour l’un ne le sera pas pour un autre.

On peut aussi définir le trauma de cette façon : 1) quand quelque chose est trop, 2) trop rapide ou 3) trop tôt.

Je pense que la maternité est donc, à certains moments, traumatiques pour tous.tes ! Ce n’est pas problématique de le réaliser !

Que ce soit l’accouchement, s’il se passe mal ou pas comme prévu : trop d’un coup et trop rapide.

Que ce soit des longues périodes (mois ou années) sans dormir une nuit complète : trop.

Et ainsi de suite.

Je n’ai donc pas l’impression de m’ériger en « cas à part » quand je dis que certains moments de ma maternité ont été traumatiques. Je m’érige plutôt en personne qui soigne sa santé mentale, qui prend du temps pour guérir ses blessures et continuer à avancer. Je ressens beaucoup de peine de savoir tant de mères autour de moi, porter des traumas pendant des années, sans penser qu’elles peuvent recourir à l’aide d’une thérapeute ou autre, parce qu’elles ont peur de ces mots alignés : une partie de ma maternité a été traumatique.

C’est NORMAL.

Si tu devais décrire le rôle de mère en 2020 en 3 mots :

Sacré, Féministe, Un travail à temps plein.

Quel est pour toi l’impact que tu aimerais que ton livre ait sur les jeunes mamans, les futures mères mais aussi les pères ?

J’aimerais que ce livre soit lu de tous et toutes, ceux et celles qui ne veulent pas d’enfants, ceux et celles qui les ont eus il y a très longtemps. Ceux et celles qui se posent la question de la parentalité, de leur propre relation à leurs parents ou encore la part enfant qui vit l’intérieur d’elles.

Il y a tant de choses que j’aimerais que ce livre soit pour des nouvelles ou futures mères, mais celui qui me vient tout de suite c’est celui-ci : j’aimerais que ce livre les libère de leur honte.

Comme c’est un sujet qui est verrouillé, comme il est rempli d’idéalisations, nous sommes trop de personnes à porter seules nos difficultés et à croire que quelque chose ne va pas chez nous. Ce qui génère de la honte. En psychologie, la honte est une des émotions les plus mortifères qui soient. Le message du cerveau quand on ressent de la honte c’est : j’ai fait quelque chose ou je ressens quelque chose qui est incorrect. Si les gens l’apprennent, je serai exclue. Le sentiment au cœur de la honte c’est que je suis une mauvaise personne. Une mauvaise personne de ne plus en pouvoir, une mauvaise personne de ne pas être dans le bonheur continu, une mauvaise personne de ne pas être mère comme ma mère, et ainsi de suite selon sa propre histoire de vie.

Quand la honte part, fiou, quelle joie !

J’ai laissé partir ma honte.

Penses-tu qu’à notre époque, il est désormais nécessaire de se libérer de l’image de mère qui nous a été transmise par nos lignées maternelles pour mieux vivre notre maternité ?

Crédit photo : Amandine Gimenez

Hmm. Je vais plutôt le formuler comme cela :

Si nos mères et nos grand-mères ont eu des parties d’elles qui ont souffert dans le processus de maternité ou qui ont voulu le contester, le questionner, le changer : cette partie d’elles n’a pas pu être exprimée.

Ou pour revenir aux traumas : nos lignées portent des traumas non guéris.

Je dirais que notre rôle, c’est de guérir nos traumas et si une partie de nous veut s’exprimer, il faut la laisser parler. Ça prendra le temps et la sécurité émotionnelle que cela devra. Mais la beauté de cela, c’est que notre libération entrainera également la libération de nos mères et de nos ancêtres. Je préfère voir cela comme ça : je ne veux pas jeter à la poubelle leur héritage (elles ont fait ce qu’elles ont pu avec les ressources qu’elles avaient et je n’ai qu’un sentiment envers elles : je les admire).

Je veux continuer notre épanouissement, plus loin.

Et le rôle du père dans tout ça, on en parle ?

Le rôle du père est le même que le rôle de la mère. Nous sommes PARENTS.

Je parlais avec un ami homme, il y a quelques jours, qui a lu mon livre et qui m’a dit : « Il y avait des choses que j’avais vraiment besoin d’entendre, dans ton livre. Je suis dans une relation amoureuse, peut-être qu’on aura des enfants, et inconsciemment je me disais : ce sera chouette mais ce sera surtout à elle.» Et de rajouter « Je me rends compte comme je me mentais à moi-même, c’est du sexisme intégré si profondément dans ma tête ». C’est ce « à elle » qui doit changer.

Les enfants ne sont pas plus à la mère qu’au père. Et je vais vous dire une chose : s’il y a une raison pour laquelle ça arrange plein de monde que les enfants soient « à elle », c’est parce que la parentalité est l’expérience la plus rock’n’roll, la plus épuisante et la plus extrême qui soit. Tout le monde fuit l’évier à la fin du repas, non ? Tout le monde fuit les fortes demandes de la parentalité. Ça arrange plein de monde que les femmes portent ça, seules.

Mais voici une chose importante : la parentalité est aussi un apprentissage de l’amour et du merveilleux extrême. Elle fait de nous de meilleures personnes. On rate tant si on se prive de ça alors qu’on est père !

Concrètement je dirais, là tout de suite, pour cette semaine : le rôle du père c’est de lire des livres féministes et écouter des podcasts féministes. Il doit assurer une partie de son changement de perspective. A ce propos, je vous conseille cet épisode: Papa où t’es ? de « Un podcast à soi ». https://www.arteradio.com/son/61659560/papa_ou_t_es_4

Cécile, tu es professeur de yoga. Jusqu’où le yoga t’a aidé et quand a-t-il atteint ses limites dans ton vécu de la maternité ?

Commençons par poser cette base.

Il y a un décalage ENORME dans le temps « libre » qu’a une personne sans enfant et une personne avec enfants. (Bien sûr, il y a plein d’autres facteurs qui déterminent la vie de quelqu’un : s’il a un parent malade qui demande beaucoup de présence, s’il cumule deux boulots, etc.) Mais dans cet exercice, on va juste nommer cette différence.

Quand j’étais « sans enfant » j’avais du temps pour méditer, faire du yoga, me reposer. Le flux d’énergie que je recevais et que je donnais était équilibré. Je ne finissais pas ma semaine en burn-out.

Quand je suis devenue mère, mon temps libre est devenu (et reste encore) anecdotique.

Crédit photo : Amandine Gimenez

Il y a donc, dans un premier temps, une question évidente de temps. Je sais que tant qu’on n’est pas devenus parents, on peut-être fortement tentés de se dire que, nous, ce sera différent. Mais comme le dit si justement l’autrice Nora McInerny : « avoir un enfant c’est comme perdre quelqu’un et c’est comme regarder la série The Wire sur HBO, tu ne peux pas savoir ce que ça fait avant de l’avoir vécu toi-même.».

Dans un second temps, et j’en parle dans le livre, notre spiritualité actuelle (d’où est tiré le yoga) est fortement le fruit d’hommes sans enfant ou d’hommes avec enfants mais qui, pour les raisons culturelles que nous connaissons, ne se sont presque pas investis dans leur rôle de pères. Je peux vous citer tous les grands noms du yoga qui modèlent notre spiritualité actuelle : Deepak Chopra, Ram Dass, Osho, Eckhart Tolle, Yogi Bhajan, Iyengar, Patthabi Jois, etc.

Des hommes, des hommes, des hommes.

Qui n’ont pas vraiment vécu dans leur chair cette expérience.

Il y a donc une déconnexion entre les discours, les exemples, les images de la spiritualité actuelle ET la parentalité. Un éléphant dans la pièce.

Et pour vous parler très concrètement, ma pratique du yoga a changé. Pendant la première année après l’accouchement de mon fils, mon périnée était en mauvais état et je n’ai pas fait une nuit complète. (vous imaginez !). Ma pratique était uniquement de la méditation, du yoga restauratif et du nidra. De la survie, quoi.

Quand ma pratique a pu reprendre de façon plus régulière et énergique, elle m’a fait tellement de bien. Mais ce n’est pas elle qui m’a aidé à comprendre et digérer la parentalité, mais plutôt : la thérapie, les cercles de parole/cercles de femmes, les conversations difficiles mais nécessaires avec ma famille pour défaire les traumas et les soigner.

Il existe un terme anglais : spiritual bypassing. Soit un contournement spirituel, une tendance à utiliser des idées et des pratiques spirituelles pour contourner ou éviter de faire face à des problèmes émotionnels non résolus, des blessures psychologiques et des tâches de développement inachevées.

Que ce soit pour le racisme, le sexisme, les défis écologiques, il existe une véritable tendance à faire du contournement spirituel à l’heure actuelle. Et qui est le plus tenté de faire du contournement spirituel ? Un homme, une personne blanche, ou privilégiée.

Oui, le yoga m’a aidé mais non, il n’a pas résolu le défi d’être mère, avec le tremblement de terre psychologique que cela représente, exacerbé par le contexte actuel où nous sommes isolés, poussés à bout dans notre travail et coupés de la vitalité de la nature. Ah, ça fait du bien de le dire !

C’est une tradition sur le blog : tu nous fais une petite photo de ta pile à lire du moment ?

Oh, punaise !

Un grand merci Cécile pour cet échange si riche ! Je souhaite que ton livre puisse parler au plus grand nombre, hommes et femmes, et je souhaite un beau chemin à Nouvelle mère.

Namasté 🙏

Un commentaire sur “Les confidences de Cécile Doherty-Bigara

Laisser un commentaire